Mémoire collective et transmission à Lutry en Suisse
En résumé
Le projet « Mémoire des anciens », initié par le service Jeunesse et cohésion sociale de la commune de Lutry en Suisse, vise à recueillir et valoriser les récits de vie des anciennes et anciens de la commune. Le collectif Histoires&Vies, dont je fais partie, est choisi pour piloter ce projet. Des élèves de 10ème du collège de La Croix ont été impliqués pour collecter ces témoignages, favorisant ainsi les échanges intergénérationnels et créant un pont entre les générations. Les rencontres ont permis aux élèves de développer des compétences d'écoute et de découvrir l'histoire de leur commune, tandis que les anciens ont pu partager leurs expériences et réflexions. Les récits collectés, sous forme écrite ou audio, seront conservés aux archives communales, enrichissant la mémoire collective de Lutry et préservant une mémoire collective précieuse pour les générations futures. Ce projet met en lumière l'importance des histoires personnelles dans la construction de l'identité communautaire.
La mémoire des ancien·nes au cœur de notre époque
Des récits à transmettre
Le récit de vie sert à raconter ce que les historien·nes ignorent. Ce qui se passe dans les cuisines, dans les cafés, dans les fêtes de village, sur les terrains de sport, ou sur le chemin de l’école colore villes et villages. Ce qui est vécu au quotidien paraît anodin mais apporte une saveur particulière à la vie communautaire. À l’automne 2024, le collectif Histoire&Vies propose pour la première fois aux enseignant∙es de 10ème du collège de La Croix à Lutry en Suisse de récolter le témoignage des ancien∙nes de la commune, de mettre en récit leurs expériences de vie à Lutry au fil du temps puis de les transmettre à la commune qui s’assurera de leur mise en valeur pour la mémoire collective de la ville.
Le projet Mémoire des anciens a été initié par le service Jeunesse et cohésion sociale en réponse au postulat du conseiller communal Alain Plattet « Pour la création d’une mémoire des Lutriennes et Lutriens ». Son intention est de donner la possibilité aux « habitant·es de laisser une marque de leur existence lutrienne dans l’histoire de la Ville » afin de « comprendre leur cheminement en général et/ou quelques détails qui ont une importance particulière pour eux ». Le service Jeunesse et cohésion sociale réunit alors un groupe de travail composé de bénévoles vivant à Lutry et du collectif Histoires&Vies afin de réfléchir, ensemble, à la plus juste manière de répondre au postulat. Nous nous mettons d’accord pour recueillir et transmettre les récits de vie des ancien∙nes, en préservant leur mémoire et en valorisant les expériences, les savoirs et les valeurs qu'ils ont à partager afin de relier différentes époques.
Une mémoire collective pour construire un pont des générations
Un projet intergénérationnel
Une particularité est proposée par le collectif afin de diversifier le projet : impliquer des adolescent∙es. Ceux-ci, au carrefour de l’enfance et de l’âge adulte, semblent tout désignés pour interroger les anciens sur ce qui fut important dans leur vie. Pour les élèves, ce projet est l’occasion de développer des compétences telles que l’écoute et l’envie de découvrir l’autre, mais aussi de se familiariser avec l’histoire et le développement de leur commune. Ces deux derniers aspects peuvent contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance et ouvrir une réflexion sur l’importance de la collectivité. Bien souvent, les relations intergénérationnelles ont lieu dans le cadre familial. En favorisant la rencontre entre deux tranches d’âge très éloignées, on permet de nouer un dialogue qui traverse les époques et nourrit la mémoire collective.
Le travail des élèves donne l’occasion aux ancien∙nes de participer à la préservation d’un patrimoine de leur commune. La personne se trouve dans une position valorisante de passeuse de l’histoire. Chaque transmission d’une expérience personnelle vécue suppose ainsi une réflexion sur ce que l’on souhaite partager. Choisissant dans la masse d’éléments et d'événements disparates qui constituent son vécu, la personne partage ceux qui correspondent à ce qui est important pour elle dans un contexte de transmission. La narration contribue à la définition de soi : se voir raconter, c’est constater que l’on n’est pas rien. Les voix individuelles enrichissent peu à peu la mémoire collective de Lutry.
L’ensemble du dispositif valorise la participation de chacun∙e. Sans la volonté des ancien∙nes de partager leurs expériences et sans le travail des élèves : pas de mémoire collectée. C’est aussi l’opportunité pour les ancien∙nes de se confronter à des adolescents qu'ils ne connaissent pas et de découvrir leurs compétences et leur curiosité souvent enthousiasmantes, créant ainsi un pont entre les générations.
Trois enseignant∙es et leurs classes ont pris part au projet de collecte. Ma collègue Rose-Marie Notz et moi-même avons rencontré les élèves en classe afin de leur transmettre les bases du recueil de récits de vie et les préparer à rencontrer les ancien∙nes. Après deux présentations du projet, vingt-trois personnes âgées s’inscrivent pour rencontrer des duos d’élèves. Le collectif Histoires&Vies guide ensuite ces ancien∙nes afin de choisir un thème. Parmi ces personnes, Françoise Jomini décide de parler des femmes du hameau du Châtelard. Lisette Dentan, quant à elle, évoquera la Balance romaine de Savuit qui servait à peser le raisin.
Une mémoire collectée
Les rencontres intergénérationnelles s’effectuent par classe. Nous réunissons duos d’élèves et ancien∙nes pour une heure d’entretien enregistré puis nous nous retrouvons pour un goûter. Leurs enseignant∙es, Rose-Marie et moi patientons dans les couloirs, laissant les groupes discuter sans être dérangés. Le murmure des dizaines d’inconnu∙es discutant ensemble est émouvant. Interrogé∙es après l’expérience, le bilan des ancien∙nes et des élèves est sans appel :
« Je les aurais serré dans mes bras. Ils étaient extraordinaires. ». Une ancienne
« J’ai trouvé que c’était assez sympa, on parle pas souvent à des gens de leur âge autre que nos grands-parents. C’était bien de voir comment la vie quotidienne a changé. ». Une élève
« J’aimerais bien refaire avec d’autres anciens. On a pu savoir tous les changements qu’il y a eu, j’ai bien aimé. ». Un élève
« C’était intéressant de découvrir leur histoire. ». Un élève
« Ça m’a surprise parce qu’elle ne disait pas « ma mère » mais « maman ». Ça m’a touchée. » Une élève
Ensuite, les enseignant∙es ont retravaillé ces enregistrements avec leurs élèves. Une des classes a produit onze récits écrits de deux à quatre pages au format A4, l’autre a épuré cinq enregistrements, et la dernière rendra cinq morceaux retravaillés sous forme de podcast. Un document composé des 21 récits enregistrés sera notamment remis aux archives communales pour y être conservé. Le récit de vie en tant qu’archive véhicule une dimension de témoignage qui permet une analyse différente des documents factuels. Il est complémentaire aux documents officiels, dans le sens où il permet d’appréhender l’histoire d’une commune en tenant compte de ce qui a du sens pour les individus qui la compose. Il sert à construire une mémoire collective attentive et consciente des identités particulières. Le récit contient ce que la personne a choisi de transmettre et détient une dimension subjective qui se retrouve notamment dans la manière de s’exprimer à propos des événements, de faire des liens entre eux, ou encore dans l’analyse des tensions telles qu’elles ont été perçues ou vécues. C’est un point de vue autant qu’une construction, puisqu’il découle d’un processus accompagné et encadré de recueil puis de travail sur les enregistrements ou de rédaction. Le récit de vie répond au défi mémoriel des archives en diversifiant l’étendue documentaire. Il permet d’intégrer les actrices et les acteurs du quotidien, témoins à part entière de ce qui fait l’identité d’un lieu.
Et après ?
Le Service Jeunesse, Culture et Cohésion sociale de la Commune de Lutry organise, dans le cadre du mois de la santé mentale, une soirée mettant à l’honneur le thème des liens sociaux, à travers l’obtention du label « Commune en Santé » et la valorisation du projet intergénérationnel « La mémoire des anciens ». Cette soirée, intitulée « Fête des liens », se tiendra le mardi 9 septembre 2025 à 18h30 au Collège de La Croix (sur inscription).
Ce moment vise à célébrer les liens interpersonnels comme vecteurs de bien-être mental, et à mettre en lumière les actions de la commune en faveur de la santé publique.
On en parle
Échomunal Express, Transmettre l’histoire vivante de Lutry. Février 2025.
24heures, Lutry : les jeunes recueillent les récits de vie des seniors. 31 mars 2025.
Radiobus : brèves chroniques des élèves à partir des récits des ancien∙nes, le 24 juin 2025 (8h-12h).
Retrouvez le collectif Histoires&Vies sur https://histoiresetvies.ch/actus/